La châtaigne en Castagniccia
Verger absolument unique en Europe, avec une altitude moyenne de 1000 mètres,
la Castagniccia domine au nord la plaine orientale.
Ses multiples routes en lacets
et en corniche permettre à cette micro-région de profiter de l'extraordinaire décor
qui s'ouvrent aux yeux du visiteur.
La Castagniccia est un massif compact, profondément
marqué par un relief fracturé. Lisez une carte et vous serez étonné de l'extraordinaire
densité de villages qui occupent, pour la plupart, le fil de chaque arête de chaque
épaulement de montagne. Mais, comme son nom le laisse supposer, la Castagniccia,
véritable château d'eau de la Corse, est avant tout le pays de la châtaigne,
ainsi dans l'Ampugnani près de 70 % des terres en sont recouvertes.
Des générations d'hommes, de femmes et d'enfants, partageant le même rythme de
travail forestier, ont vécu d'un fruit qui autorisait, grâce à ses excellentes
qualités nutritives une croissance démographique soutenue. Depuis cent ans et
malgré de forts rendements potentiels à l'hectare (un hectare planté de 50
châtaigniers fournit jusqu'à 7 tonnes de châtaignes réparties de la façon suivante
: 2 tonnes pour les porcs à charcuterie et 5 tonnes de châtaignes décortiquées
donnant au final environ 2 tonnes de farine de châtaigne), la châtaigneraie,
limitée actuellement à 30 000 hectares en Corse (dont plus de la moitié en Castagniccia)
, est en déclin.
Oubliée comme source nourricière (sauf aux temps douloureux des deux guerres mondiales)
et exploitée, par la suite, principalement pour son tanin de teinturerie obtenu
par macération dans l'eau et évaporation dans le vide (sur un bois âgé d'au moins
cinquante ans), elle vit difficilement. Pour mémoire, rappelons l'existence de
ces tanneries à : Ponte Leccia (la dernière subsistante en 1957 sur son site de Barchetta)
, Campo Piano (1895), Folelli (1901, 40 000 tonnes de bois encore traitées en 1954)
et Casamozza (1914), sur le plan architectural voilà bien souvent d'intéressants
bâtiments industriels, aujourd'hui abandonnés, qui mériteraient une reconversion
approfondie. Il est vrai qu'exploiter la châtaigne sur les terrains escarpés de
Castagniccia s'avère délicat, la mécanisation des méthodes de récolte ne pouvant,
au travers de conditions naturelles délicates, s'exprimer complètement, on cueille
aujourd'hui bien souvent la cinquantaine de variété de châtaignes selon une méthode
ancestrale largement éprouvée : l'huile de coude.
La récolte (a cugliera)
Le châtaignier commence à produire des fruits vers le cinquième année de greffe,
et atteint son produit maximum vers soixante ans soit plus de 55 ans de production
potentielle (!) Pour un arbre fruitier, quel record !
La récolte a lieu dès que les châtaignes se détachent d'elles-mêmes, le ramassage a donc
lieu à terre sur un sol préalablement nettoyé (dirachera).
C'est vers la mi-octobre que commence la cueillette au moment où la forêt est la plus belle, rouge feu sous le dernier
soleil, à l'aide d'une petite fourche à trois dents (a ruspalla) ; des familles entières
s'adonnent encore, le dos courbé et les doigts engourdis par le froid, de nos jours
à cette activité plutôt pénible dépendante des rigueurs climatiques de l'automne,
joignant toutefois le plaisir de l'effort physique collectif à l'apport de non
négligeable de revenus complémentaires.
Autre avantage, juste avant l'arrivée des grands
froids la châtaigne apporte au corps un apport calorique non fondamental.
Autrefois c'était des familles entières, des plus jeunes aux plus âgés qui ramassaient
les précieux fruits accompagnées d'une âne ou d'un mulet chargé de sacs au fur et à mesure.
Il arrivait parfois, lorsque les lieux de récolte étaient trop éloignés du village d'entasser,
les châtaignes dans une petite enceinte (chjostru ou murone) ; conservant toute leur fraîcheur,
les châtaignes étaient ensuite transportées en masse au village.
Ces longues journées
de travail étaient entrecoupées d'un déjeuner sur les lieux même de l'effort, déjeuner
qui se terminait inévitablement par une grillade de châtaignes (fugina).
Fin décembre la récolte s'achève. Le ramasseur choisit d'abord les châtaignes hors de leurs
bogues, puis celles qui sont encore enveloppées dans leur carapace d'épines fendues d'un
coup sec avec le dos de l'outil.
Avant d'être versés dans de grands sacs, les fruits sont
jetés dans des paniers ventrus en éclisses de châtaignier (u spurtellu), puis on les laisse
à sécher pendant plusieurs semaines dans de vastes séchoir de pierres séchées (siccatoghju,
grataghju, seccareccia).
À la maison, les châtaignes sont étalées dans un grand grenier situé au dessus du foyer
(u fucone) placé au milieu de la salle commune (sala) de la maison familiale
(certaines maisons contemporaines rénovées ont l'on judicieusement conservé).
Les lattes qui composent le plancher sont espacées d'une distance d'un doigt,
elles laissent ainsi passé la chaleur du feu de châtaignier entretenu dans le fucone le plus
longtemps possible dans la journée.
Avec le temps, ce plancher qui fait aussi office de
plafond pour la pièce principale s'enduit d'une suie noire et lustrée ce qui n'était pas
sans conséquence sur le visage des habitants...
Suspendus à ce plancher, jambons et figatellis,
produits sensiblement à la même époque de l'année, s'imprègnent de cette bienfaitrice chaleur
aux bienfaits enivrants. En Castagniccia toutefois, zone d'importante production,
les châtaignes sont souvent entassées dans des bâtiments spéciaux (rataghju),
la technique de séchage reste la même.
Entassées, les châtaignes sont retournées une
à deux fois par semaine pendant les mois de séchage qui suit leur récolte.
Le séchage terminé, on les porte dans un four tiède. Puis après les avoir fait vivement tournoyer
autour de la tête, on les bat une trentaine de fois sur un billot de bois (troppu, ceppu),
recouvert de tissu fort pour éviter son usure prématuré, à l'aide de grands sacs en peau de
porc (pistaghjola) ou de toile d'une contenance d'environ 5 kg ( soit l'équivalent d'un gros
traversin) pour permettre à la peau de s'en détacher. Battue une deuxième fois, on ôte la
dernière fine pellicule intérieure (lesina).
La technique des châtaignes battues dans des
sacs n'est toutefois pas exclusive, ainsi dans la région de Bastelica, les châtaignes sont
placées dans un pétrin et sont foulées aux pieds.
Désormais prêtes pour la dernière opération
d'écorçage, elles sont passées au crible (u cernigliu, u spulinu) et triées. Suivant la dureté
on les consomme tel quel en conservant les plus belles, les plus grosses et les plus molles
(insitina) dans un coffre familial spécial en bois de châtaignier bien sûr (u cascione),
coffre de nos jours très recherché par les antiquaires ; quant aux plus dures, elles sont
envoyées au moulin qui les transformera en farine (pisticcina).
Celles qui sont restées
au sol (a vilana) font la joie des cochons qui vivent en semi-liberté.
Il ne fait pas
de doute alors que le profond parfum de terroir dégagé par la charcuterie corse en
Castagniccia vient d'ici.
En Castagniccia cela près de 300 ans que l'on mange "bio".
Cela dit les cochons en liberté (et les sangliers), s'ils garantissent le peuplement
des forêts (et leur entretien en quelque sorte) sont aussi, par leur fouissage systématique,
un danger pour les racines fragiles et facilement retournables des châtaigniers.
Tous les trois ans enfin, il faut tailler les arbres, à la fin de l'hiver et régulièrement
planter et greffer les rejets pour assurer le renouvellement de la châtaigneraie et lui
assurer son cycle commercial.
Séchées, écorcées et triées les châtaignes sont dites "blanches".
Devenu plantation à naissance "spontanée", le châtaignier a besoin qu'on s'occupe de lui et
le plus grand danger qui le guette c'est l'abandon, son plus grand ami : l'homme attentionné
sachant émonder les jeunes pousses et greffer, opération la plus délicate qui permet d'obtenir
un éventail d'une cinquantaine de variétés différentes : rosa, campanese
(insitina ou orezzinca -moyennement grosse et de bonne qualité-), tighjulana,
ghjentile, murianinca, marunghja, pitrina (ou thehja -de forme plate), tricciuta
(en bouquet de bogues), nucetta (noisette).
Que l'on se rassure cependant, bien entretenu,
notre arbre de prédilection a encore de longues années de vie devant lui, d'ailleurs,
ne raconte-t-on pas, en Castagniccia, qu'aucun homme n'a vu mourir un châtaignier ?
Si le prochain millénaire parvient à se débarrasser de cette envahissante cuisine uniformisée
pour les stricts besoins des marchés dominés et des modes importées, sans aucune saveur tellement
elle veut plaire à tous le monde, alors il ne fait aucun doute que la châtaigne sera,
avec le blé et le riz, de par le monde, l'aliment de base du prochain siècle.
Qui prend
les paris ? Les Japonais sans doute puisqu'ils sont devenus les premiers producteurs mondiaux
de châtaigne, mais attention la Castagniccia revient déjà et la châtaigne sera l'instrument
de sa reconquête !
La châtaigne en Corse aujourd'hui
On estime à 250 le nombre de producteurs de châtaignes, dont près de 200 en Haute-Corse.
Actuellement la récolte annuelle s'élève à 1200 tonnes dont 85 % sont transformés en
farine.
La Somivac a recensé environ 25 000 hectares de terres à châtaignier en 1977,
mais seuls un peu plus de 3607 était en exploitation.
Les 20 000 hectares restant
sont à l'abandon ou livrés aux animaux coureurs.
L'ensemble de la production
provient des régions de Castagniccia, Nebbiu, Capi Corsu, Boziu, Niolo, des Duo-Sévi,
du Duo Sorruo, Cruzzini, Celavu, Bastelica, du Alto-Taravo, Prunelli et Alta Rocca.
Les producteurs sont regroupés autour de marques collectives : U FORMU pour la Corse
du Sud et CORSICASTAGNA pour la Haute-Corse.
Aucune appellation d'origine
contrôlée n'existe vraiment car les traitements varient selon les lieux de
production et les producteurs.
Toutefois le Groupement Régional des Producteurs
et Transformateurs de Châtaignes et Marrons de Corse a définit une charte de
qualité signalée par la dénomination "Fiore di Castagna".
La Chambre d'Agriculture a fait divers essais pour mieux diversifier
la production, pour plaire aux amateurs de marrons glacés (I Dolci Corsi)
et au consommateur régulier ou occasionnel.
Pour en savoir plus vous pouvez
vous rendre sur le site du : Groupement Régional des Producteurs et
Transformateurs de Châtaignes et de Marrons Corses.